Politique fiscale, économique
En 2019, selon la Réserve fédérale des États-Unis, les 10% les plus riches détiendraient 63,8% de la richesse totale du pays. Les 90% restants se partagent les miettes, plus ou moins grosses selon la position sur l'échelle sociale.
« … Les plus riches, qui étaient déjà républicains, ont bénéficié de sa politique fiscale, c’est certain. Certaines entreprises ont bénéficié de la dérégulation et du détricotage plus ou moins systématiques de ce que son prédécesseur avait mis en place, notamment au niveau environnemental. Ce qui frappe pourtant, c’est à quel point un grand nombre de ses décisions, appuyées ou pas par le Congrès, ont été annulées ou mises en suspens par la justice. L’équilibre des pouvoirs a plus ou moins bien fonctionné. Un Sénat rangé derrière lui et une Cour suprême un peu plus à sa main, avec la nomination de deux juges conservateurs, l’a aidé à contourner cet obstacle institutionnel à sa politique…. Du point de vue économique (ce qui inclut les dérégulations environnementales), l’idée était que la santé des entreprises, libérées de ces carcans réglementaires, rejaillirait et ruissellerait sur les Américains qui, enrichis par cette bonne santé économique, allaient remercier Trump en lui confiant un second mandat… », Lauric Henneton, Spécialiste d’histoire britannique et américaine.
Parenthèse. Contrairement aux idées reçues, l’administration Trump n’a pas mis en application la fameuse main invisible d’Adam Smith. « Quant à Adam Smith et sa main invisible, les défenseurs comme les critiques du capitalisme nous le présentent habituellement comme le fondateur d’une doctrine selon laquelle la libre compétition des intérêts individuels engendrerait spontanément le maximum de bien-être collectif. Cette idée n’est pas partagée par les spécialistes de son œuvre car elle ne résiste pas à la critique historique. La pensée d’Adam Smith a peu de rapports avec le libéralisme contemporain et la fameuse « main invisible » n’y désigne pas les vertus autorégulatrices du marché. Dans la pensée de ce dernier, c'est précisément quand l'explication scientifique fait défaut, et lorsqu'on ne dispose ni de théorème ni de principe pour expliquer les choses, qu'on évoque une main invisible. Smith est en réalité le premier auteur à proposer une analyse du capitalisme dont il découvre les trois dimensions : produit de l’histoire (la société commerciale), construction politique et intellectuelle (le système mercantile) et processus économique (l’accumulation du capital). Le capitalisme, à certaines conditions, permet l’enrichissement très inégal de tous, explique Smith, mais le système mercantile est injuste, car il est partial : il confond l’intérêt des marchands et l’intérêt général. Or, dit Smith, l’intérêt des marchands est « le plus souvent contraire » au bien commun. C’est ce que son analyse économique cherche à prouver. Le système mercantile est aussi responsable de la construction par la Grande-Bretagne d’un vaste empire colonial qui met en péril son régime constitutionnel remarquable hérité de la révolution de 1688 et qui risque de conduire à de nouvelles tyrannies. », résumé du livre Adam Smith. La découverte du capitalisme et de ses limites, écrit par Diakatine Daniel aux éditions du Seuil, paru en avril 2019. Fin de parenthèse.
Revenons à nos moutons trumpistes, si vous le voulez bien. En dérégulant, de nombreuses entreprises dans le secteur privé ont vu le jour ou retrouvé de l’activité puisqu’elles se retrouvaient moins taxées et pouvaient investir, recruter. Le domaine agricole, le bâtiment, l’exploitation des énergies fossiles, l’industrie pharmaceutique et le secteur des finances ont connu un développement économique notable. De plus, « … il promeut un protectionnisme radical, dans le but de contenir le volume des importations et de favoriser une relocalisation de la production aux États-Unis, avec son cortège de création d’emplois. En rupture avec les grands accords de libre-échange et d’abaissement des droits de douane, cette stratégie rejoint celle de l’aile gauche du Parti démocrate, et surtout du mouvement syndical… », extrait de l’article États-Unis. Le bilan de la présidence Trump en matière d’emploi : quels défis pour les organisations syndicales, écrit en 2021 par Donna Kesselman.
Malgré ce partiel protectionnisme d’État en matière de commerce extérieur, le système économique que Trump met en place s’oriente autour de la dérégulation et la promotion de la politique de l’offre en vue de libérer « les forces du marché ». Ce fonctionnement, basé sur une croissance providentielle, un néolibéralisme assumé, un capitalisme « sauvage » se révèle vecteur d’inégalités, s’oppose à l’intérêt commun. Les grands gagnants financiers de la mise en application de cette accumulation du capital sont ceux qui brassent marchandises et argent. Et ce fonctionnement ne rend pas les citoyens et la société plus nuancés, justes, apaisés et épanouis.
« … Les continuités sont très nettes entre les deux présidences Obama/Trump prises comme des périodes. La croissance, comme la bourse, ont poursuivi une tendance haussière déjà engagée. Mais ça, bien entendu, Trump ne peut pas l’entendre, et ses thuriféraires ne veulent pas le voir ni le dire. D’une certaine manière, on peut même dire que la bonne santé de l’économie a résisté aux incertitudes causées par le style Trump. On sait que les entreprises ont horreur de l’incertitude et les colères, lubies et revirements de Trump ont généré énormément d’incertitudes, qui n’étaient pas forcément de nature à rassurer les investisseurs sur le long terme. Par ailleurs, l’effondrement de l’économie et l’explosion du chômage n’ont pas été stoppés par Trump, qui apparaît impuissant dans ce domaine, ce qu’il déteste, évidemment. D’où sa propension à rejeter la faute sur des tiers, généralement les gouverneurs des États démocrates, les Démocrates au Congrès… », Lauric Henneton.
Bien qu’il ait facilité l’entreprenariat, « …le bilan économique des années Trump, qu'il résulte ou non de sa politique, n'est donc pas sans ambiguïté. Or, l'épidémie de COVID-19 a effacé la plupart de ce qui pouvait être considéré comme ses meilleurs résultats, avec notamment une remontée spectaculaire du chômage qui atteint 14,7% en mai 2020 avant de retomber à 7,9% en septembre, mais avec une forte hausse de l'inactivité. Ce taux de chômage, élevé pour les États-Unis, modifie forcément l'appréciation des électeurs américains, qui jugeront également la gestion de la crise sanitaire par le président… », propos recueilli dans le journal La Tribune, le 22 octobre 2020, par Thérèse Rebière, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et Isabelle Lebon, Université de Caen Normandie.
Politique migratoire
Dès l’annonce en juin 2015 de sa candidature pour la nomination comme candidat du Parti républicain, où il fait part de son intention de construire un mur destiné à empêcher l’entrée aux États-Unis des « Mexicains criminels et violeurs », Trump recueille le soutien du site néonazi The Daily Stormer, dont l’éditeur, Andrew Anglin, appelle les lecteurs à « voter pour la première fois dans nos vies pour le seul homme qui représente réellement nos intérêts ».
Trump n’a jamais rejeté les soutiens racialistes, complotistes ou d’extrême droite au cours de sa campagne. Au contraire, il n’a pas hésité à reprendre à son compte et à relayer des informations fallacieuses provenant de sites internet proches de ces mouvances. En novembre 2015, il relaie sur Twitter un message contenant un graphique affirmant notamment que 81 % des Blancs victimes de meurtres seraient tués par des Noirs. Une vérification factuelle effectuée par le site Politifact se basant sur les données du FBI montre que le chiffre est en réalité de 15 %. Interrogé à ce sujet par Bill O'Reilly sur Fox News, Trump explique qu’il « ne peut pas vérifier toutes les statistiques », et lorsque son interlocuteur lui dit qu’il « ne devrait pas mettre son nom sous des trucs pareils », Trump rétorque que ces chiffres « provenaient de sources très crédibles ».
Ainsi, la campagne de Trump a aussi pour effet de populariser et de rendre beaucoup plus visibles les thèmes de prédilection de l’extrême droite. Le fait qu’un candidat à l’élection présidentielle les endosse aussi facilement leur confère un vernis de respectabilité.
Je doute qu’un mur résolve le problème du trafic de stupéfiants et de l’immigration illégale. Cette infrastructure ne fera que détourner et renforcer ces problématiques.
En 1920, la prohibition, cette mesure drastique est imposée aux citoyens américains : la consommation d'alcool est interdite sur l'ensemble du territoire. Loin de régler les problèmes sociaux, la mesure aura finalement pour effet de généraliser la corruption et de favoriser la criminalité organisée aux États-Unis.
Plutôt que de dresser un mur inutile et stigmatisant, il vaudrait mieux renforcer la collaboration des autorités états-unienne et mexicaine pour mieux comprendre, remonter les filières, gripper et harponner le trafic de stupéfiant à la source.
Par rapport à l’immigration illégale, je voulais préciser que tout le monde n’a pas le privilège et l’opportunité de migrer légalement dans un pays. La plupart du temps, les migrants fuient la guerre, la famine, les intempéries climatiques, la pauvreté extrême, l’absence de perspectives, des abus, des humiliations sévissant dans leur pays d’origine. Offrons plutôt aux immigrés et réfugiés la possibilité de travailler, de participer au vivre-ensemble dans la nation qui les accueille.
En août 2015, il se prononce pour l'expulsion des États-Unis de tous les immigrés clandestins (soit 11 millions d'individus). En février 2016, il assure ne pas vouloir combattre l'immigration « mais l'immigration illégale », qui « doit être stoppée, ainsi que celles de ceux qui veulent nous imposer leurs règles et leurs dogmes ». En août 2016, il infléchit pour la première fois sa proposition en laissant entendre que seuls « les mauvais » sans-papiers pourraient être expulsés, ce qui « l'obligerait à envisager des régularisations partielles qu’il a pourtant catégoriquement écartées jusqu’à présent » d'après Le Monde. Selon Mediapart, « les experts prévoient sur ce sujet un cauchemar administratif tel que le projet n’aboutira jamais ». Il souhaite par ailleurs expulser les milliers de réfugiés syriens entrés sur le sol américain, qu'il présente comme un « cheval de Troie » pour les terroristes. Il souhaite réformer le droit du sol, qui représente pour lui « le plus gros aimant pour l’immigration illégale », ce qui implique de modifier le XIVème amendement de la Constitution ou de jouer sur son interprétation. Après son élection, conformément à ce qu'il avait déclaré en août, il annonce son intention d'expulser ou d'emprisonner « les gens qui sont des criminels et qui ont des casiers judiciaires (par honnêteté, peut-être s’inclut-il dans cette catégorie), qui appartiennent à des gangs, qui sont des trafiquants de drogue…, sans doute 2 millions, ça peut aussi être 3 millions [de personnes] ». Les experts et universitaires spécialistes de l'immigration évaluent le coût de l'opération prônée par Donald Trump à plusieurs centaines de millions de dollars, voire plusieurs milliards, le pic historique d'expulsions annuel étant de plus de 438 000 en 2013. Donald Trump entend ainsi tripler les effectifs de l'U.S Immigration and Customs Enforcement.
Il souhaite réduire l'immigration légale, qui engendre selon lui un dumping social et un taux de chômage élevé. Il veut inciter les entreprises à embaucher les citoyens américains en priorité, obliger les candidats à l'entrée sur le sol américain à certifier qu'ils peuvent subvenir à leurs propres besoins. Il s’engage à rehausser les standards d'admission des réfugiés dont il juge le programme trop coûteux (pour mieux prendre en charge les orphelins américains et améliorer la sécurité dans les quartiers sensibles). Ce point est peu évoqué au cours de sa campagne. En août 2016, il appelle à maintenir la part des immigrés « dans des normes historiques » et à les choisir en fonction « du mérite, du talent et de la compétence ».
La préférence nationale qu'il entend instaurer à l'embauche irait à l'encontre du Civil Rights Act, lui-même protégé par le XIVème amendement de la Constitution qui garantit une protection égale des lois pour toute personne présente sur le territoire américain.
Politique étrangère
«…Après 3 ans et demi d’exercice du pouvoir, il apparaît que Trump est bien porteur d’une vision et d’une pratique de politique étrangère inédites, vecteurs d’une transformation profonde du leadership américain dans le monde. Les obsessions du président (importance de la souveraineté nationale et méfiance vis-à-vis des organisations multilatérales, volonté de déconstruire l’héritage de Barack Obama) s’alignent par ailleurs souvent sur celles d’un Parti républicain en pleine mutation idéologique. Le style imprévisible de Trump, et la mise au pas de l’administration, ont aussi structuré la mise en œuvre des fondamentaux de la politique America First… », extrait de l’article Le « trumpisme » en politique étrangère : vision et pratique, écrit par Martin Quencez.
« …Alors qu’il brigue un second mandat, il semble que le changement d’orientation ait bien eu lieu :
- La compétition stratégique (ou compétition de puissances, great power competition) a remplacé la lutte contre le terrorisme comme finalité première de la politique étrangère ;
- Sur le plan des moyens, le slogan « America First » a promu l’unilatéralisme et le nationalisme comme principes directeurs, rejetant le multilatéralisme et les institutions à la base de l’ordre international, dont l’érosion est désormais avérée.
Certains éléments de la politique étrangère américaine sous Donald Trump prolongent la politique étrangère de Barack Obama, en particulier la double volonté de désengagement du Moyen-Orient, et de pivot vers l’Asie. Mais d’autres signalent une véritable rupture, à travers le rejet du principe directeur de la politique étrangère américaine de l’après-guerre froide, selon lequel l’inclusion des rivaux dans le système international allait en faire des « partenaires responsables » (responsible stakeholders) des États-Unis : les documents stratégiques de l’administration Trump s’ouvrent sur le constat d’échec de cette politique. En remettant en question le multilatéralisme et ses institutions, l’Amérique de Donald Trump semble se muer elle-même en « partenaire irresponsable » rejetant cet ordre international qu’elle avait jusque-là garanti…», extrait de l’article La politique étrangère de l’administration Trump, publié par Maya Kandel, le 19 mai 2020.
Sous son mandat, les États-Unis ont arrêté de jouer le rôle le gendarme du monde. Aucune guerre n’a été déclarée par l’Oncle Sam et il a reculé sur la question de l’impérialisme américain. Il a provoqué aux États-Unis le plus large débat sur les objectifs, les moyens et la finalité de la politique étrangère depuis des décennies. Là où Obama, dont c’était également l’ambition, n’y était pas parvenu.
Conclusion
« Le plus frappant au terme du premier mandat Trump, lorsque l’on regarde l’opinion américaine, c’est non seulement la polarisation extrême, mais aussi l’extrême stabilité de son soutien : quoi qu’il fasse ou dise, Trump conserve un socle de 40 % d’opinion favorables ; sa popularité au sein de l’électorat républicain a atteint jusqu’à 90 %, même si elle pâtit en 2020 de sa gestion de la pandémie. Ce socle électoral du trumpisme ne disparaîtra pas, même s’il perd l’élection. Il impose de s’interroger sur ce qu’il dit du trumpisme, de sa vision du monde en particulier, et de son poids dans les redéfinitions à venir du parti républicain. », extrait de l’article La doctrine Trump, par Maya Kandel, publié le 23 octobre 2020, sur le site Le Grand Continent.
Après ces quelques observations, il m’est délicat d’être pro ou anti Trump. Je n’éprouve ni considération envers lui, ni haine à son encontre. Si je me désigne pro Trump, je condamne mes convictions, mes valeurs, ma quête de justesse et de nuance au détriment de mes émotions, de mes visions réductrices et cloisonnées de court terme. Si je m’improvise anti Trump, je suis incapable de reconnaître les quelques actions qualitatives qu’il a entreprises. En termes de politique économique (si je considère malgré moi la croissance comme indicateur de développement), de protectionnisme et de politique étrangère, son bilan s’avère, à certains égards, intéressant. En ce qui concerne les droits sociaux, sa politique environnementale, fiscale et migratoire, nombre de ses résolutions, de ses interventions demeurent simplistes. Celles-ci ne font qu’aggraver les problématiques et les fractures de la société américaine, sans les traiter véritablement.
J’apprécie son côté patriote et souverainiste, contrairement à sa tendance à faire naître des conflits et des dissensions au sein même de sa nation. En somme, il m’apparaît tel un personnage insignifiant, imprévisible, opportuniste et corrompu de plus dans le paysage présidentiel mondial.